Avez-vous aussi remarqué que le rayonnage manga de votre librairie préférée semble moins fréquenté ces derniers temps ? Ce n’est pas votre imagination : le marché du manga en France connaît actuellement un ralentissement notable après des années de croissance fulgurante. En tant que journaliste spécialisé dans ce secteur, je souhaite vous partager mon analyse de cette situation qui préoccupe tant les professionnels que les passionnés du 9ème art japonais.
Le reflux après la vague : chiffres et tendances actuelles
Lorsque j’observe l’évolution du marché, les données sont sans appel. Après avoir atteint des sommets vertigineux pendant la période post-Covid, l’industrie du manga en France traverse une phase de contraction significative :
Année | Volumes vendus | Variation | Chiffre d’affaires |
---|---|---|---|
2021 | 28 millions | +120% | En forte hausse |
2022 | 48 millions | +71% | 381 millions € |
2023 | – | -11% | – |
2024 | – | -9% | 309 millions € |
2025 (T1) | – | -14,5% | – |
Ces statistiques révèlent une décroissance constante depuis 2023, culminant avec une chute de 14,5% au premier trimestre 2025. Cependant, il convient de replacer cette diminution dans son contexte : les volumes commercialisés demeurent nettement supérieurs à ceux d’avant la pandémie.
Les causes d’un essoufflement annoncé
Pourquoi ce secteur autrefois florissant montre-t-il aujourd’hui des signes de fatigue ? Plusieurs facteurs semblent contribuer à cette situation :
La fin des locomotives éditoriales J’ai pu constater que l’achèvement de séries phares comme Demon Slayer, L’Attaque des Titans, ou plus récemment Jujutsu Kaisen et My Hero Academia a créé un vide que les nouvelles publications peinent à combler. Comme me le confiait récemment un libraire spécialisé : « Quand une série culte s’arrête, c’est tout un écosystème de ventes qui disparaît avec elle. »
La saturation du marché La prolifération des nouveautés rend difficile l’émergence de nouveaux succès durables. Lors de mes visites en librairie, je remarque constamment l’abondance d’offres qui finit par dérouter même les lecteurs les plus assidus.
Les contraintes économiques La hausse du prix des livres (+5% pour la BD en 2024) associée à l’inflation générale a inévitablement impacté le pouvoir d’achat des consommateurs, qui doivent désormais faire des choix plus sélectifs.
L’évolution des habitudes de lecture Le développement des plateformes numériques légales et l’essor des webtoons ont transformé la façon dont nous consommons les mangas. Comme me l’expliquait Eric Richard, libraire manga à Saint-Cloud : « Les amateurs se sont habitués à lire sur tablette, mais ils continuent néanmoins d’acheter des éditions physiques pour leurs séries préférées. »
Les conséquences sur l’écosystème du manga
Le ralentissement actuel n’est pas sans répercussions sur les acteurs du secteur :
La fermeture de librairies spécialisées Je constate avec regret que depuis 2024, les dépôts de bilan se multiplient. Edmond Tourriol, cofondateur du studio Makma, alerte même sur le fait que « 2025 pourrait être encore pire » pour ces commerces indépendants.
L’analyse de Bruno Fermier, délégué général de Canal BD, est particulièrement éclairante : « Ces fondateurs, souvent sans formation et avec des moyens financiers très limités, se sont laissé porter par le chant des sirènes de l’engouement pour le manga ». Cette observation met en lumière la fragilité économique de certaines structures créées dans l’euphorie post-Covid.
Un marché en mutation plutôt qu’en déclin
Malgré ces indicateurs préoccupants, je reste convaincu que nous assistons davantage à une transformation qu’à un effondrement du secteur manga en France. Plusieurs éléments soutiennent cette analyse :
Une base solide malgré le recul Le manga demeure le moteur du marché de la bande dessinée en France, représentant plus de la moitié des ventes totales de BD en 2024. Avec 36 millions d’exemplaires écoulés et 309 millions d’euros de chiffre d’affaires, le secteur conserve une assise remarquable.
Une audience qui se diversifie J’observe dans mes enquêtes que le lectorat s’élargit considérablement : plus de femmes, plus de personnes de plus de 40 ans… Cette diversification constitue un signe encourageant pour l’avenir du medium.
La symbiose manga-animé La relation entre mangas imprimés et adaptations animées s’intensifie, créant un cercle vertueux. Comme le souligne Jérôme Manceau, directeur marketing de Crunchyroll : « Quand on lance un manga en France, on n’a pas l’assurance du succès tant que l’animé n’est pas confirmé. Mais une fois que l’animé est là, c’est une sorte de preuve du succès durable du manga. »
Vers un nouvel équilibre du marché manga
Pour s’adapter à cette nouvelle réalité, les acteurs du secteur explorent différentes pistes :
La diversification de l’offre Les éditeurs misent désormais sur un catalogue plus varié, moins dépendant des séries phares et plus ouvert à la création originale.
L’émergence de formats alternatifs Le développement des one-shots et des formats numériques pourrait contribuer à redynamiser un marché en quête de renouveau.
L’adaptation aux nouveaux modes de consommation Il est crucial pour les professionnels de prendre en compte l’évolution des habitudes de lecture et d’acquisition des mangas par un public de plus en plus connecté.
Pour les passionnés comme moi, cette période représente une phase de transition nécessaire après une croissance exceptionnelle mais peu soutenable. Le marché du manga en France cherche simplement son point d’équilibre, tout en conservant son statut de deuxième pays consommateur au monde, juste derrière le Japon.
Alors, faut-il s’inquiéter de cette baisse du marché manga ? Je dirais plutôt qu’il convient d’y voir une opportunité de maturation pour un secteur qui, après avoir connu une expansion fulgurante, entre dans une phase de consolidation prometteuse.